Familles monoparentales en Suisse : parcours, défis et choix de maternité/paternité solo

Les familles monoparentales restent majoritairement composées de mères seules, tandis que les papas élevant seuls leurs enfants restent moins nombreux. Le maintien de l’équilibre entre activité professionnelle et vie familiale est un défi quotidien qui peut peser sur les finances et influencer la santé mentale des parents, souvent épuisés et isolés.

Une maternité choisie après un long parcours

Zeina, 49 ans, maman solo, a grandi dans une famille traditionnelle et a vécu à Boston, où la PMA est accessible aux femmes célibataires. De retour en Suisse après des années d’enseignement universitaire aux États‑Unis, elle confie avoir « J’ai toujours rêvé d’être maman, mais jamais d’être seule ». Après plusieurs relations qui n’ont pas abouti, elle décide d’envisager une grossesse par procréation médicalement assistée. Cette démarche s’est étalée sur six années et, selon elle, même lorsque l’embryon est inséré, le corps demeure maître du processus: « Ce qu’on ne réalise pas toujours avec les PMA, c’est que même si on insère un embryon, c’est le corps qui décide. C’est la beauté et la magie de la grossesse. »

À l’époque, Zeina bénéficie d’un accompagnement psychologique tout au long du parcours et doit faire le deuil du modèle familial traditionnel pour accepter un nouveau cadre.

Enceinte de huit mois et demi, elle rentre en Suisse d’urgence au début de la pandémie de Covid‑19. « Un voisin est venu frapper à ma porte pour me dire de partir, que j’allais accoucher seule et que les frontières allaient fermer », raconte-t-elle. Luca naît finalement en Suisse, chez ses grands‑parents. Une dépression post‑partum importante suivra, conséquence d’une impulsion hormonale après six années de traitements, mais aussi de l’isolement lié à la pandémie et de la perte d’identité professionnelle.

Une paternité inattendue, mais assumée

Jérôme, 43 ans, élève seul son fils Toma, âgé de six ans. « Je ne voulais pas d’enfant. J’avais peur de répéter les schémas familiaux que j’ai connus, l’absence d’un père », explique-t-il. Sa rencontre avec la mère de Toma, originaire du Laos, se produit lors d’un voyage alors qu’il traversait une période de remise en forme et de recherche de sens. L’enfant n’était pas prévu. En voyant les conditions de vie de son fils au Laos, il décide de tout faire pour l’amener en Suisse avec sa mère. Six mois après leur arrivée, la mère repart, le laissant seul avec Toma. « L’avenir de cet enfant était mon engagement: lui donner la meilleure vie que je puisse lui offrir », confie Jérôme. Ce n’était pas un coup de foudre paternel, mais un engagement fort qui s’est construit au fil du temps.

Des défis quotidiens et une charge mentale significative

Pour Jérôme, les premiers mois ont été éprouvants: « Il pleurait, je ne dormais pas, il fallait travailler à côté. Mon quotidien avait volé en éclats ». L’arrivée d’une crèche Montessori a permis à Toma de progresser et à Jérôme de s’investir dans son rôle parental. De son côté, Zeina est revenue vivre auprès de ses parents, ce qui l’a « sauvée » selon ses mots: « Ma mère a pris le relais pendant ma depression. Sans elle, je ne sais pas comment j’aurais fait. » Cette présence soutenue lui permet de reprendre une activité professionnelle à temps plein tout en élevant Luca.

Origines et lien avec le donneur

Pour Zeina, la question des origines tient une place centrale. Elle a opté pour un donneur à identité ouverte, ce qui permettra à Luca, à ses 18 ans, de le rencontrer s’il le souhaite. « C’est une décision que j’ai prise pour lui, même si cela reste stressant pour moi », explique-t-elle. Elle parle régulièrement à Luca du donneur, qu’elle appelle « le monsieur qui a donné la graine ». Dans la chambre de Luca, un poster de La Nuit étoilée de Van Gogh rappelle le tableau préféré d’un jeune homme américain qui a contribué à sa vie.

Réseaux de soutien et intégration sociale

Face à l’isolement et aux défis du quotidien, les deux parents ont su développer de nouveaux liens. Jérôme a trouvé une « grand‑mère de cœur » pour Toma, une voisine d’environ soixante-dix ans. Le petit passe régulièrement du temps chez elle. Jérôme a aussi participé à deux camps pour papas solos organisés par Pro Juventute: « C’était ma lumière au bout du tunnel. Pour la première fois en six mois, j’ai pu souffler et dormir des nuits complètes. » De son côté, Zeina a cofondé l’association Maman Solo en Suisse romande, qui regroupe aujourd’hui plus de 200 membres.

Des familles diverses, mais tout aussi valorisées

Zeina et Jérôme soulignent qu’il existe plusieurs formes de familles et que ce mode d’éducation ne bénéficie pas toujours d’une reconnaissance suffisante dans la société suisse. Leur expérience montre toutefois que ce modèle familial peut fonctionner et apporter du bonheur, même s’il diffère du cadre traditionnel.

Luigi Marra / RTS

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